Le blogue catholique breton Ar Gedour vient de publier une tribune libre de Tudwal Ar Gov qui dénonce, avec raison me semble-t-il, une dérive christianophobe constatée dans la dernière livraison du magazine ArMen (n° 225, juillet-août 2018).
ArMen est ce superbe magazine qui depuis des années nous gratifie de magnifiques reportages, articles de fonds, notamment sur la culture bretonne. Pour reprendre ses propres mots pour se décrire, son titre évoque aussi bien la pierre en breton que le phare du même nom situé à la pointe de la Bretagne. Encyclopédie vivante de la Bretagne et du monde qui l’entoure, la revue ArMen éclaire par ses articles approfondis et son iconographie exigeante et soignée. Histoire, société, art, littérature, nature, économie, la revue ArMen dissèque la Bretagne comme elle va.
Un phare. Mais éclaire-t-il toujours, au vu du dernier numéro ? Apparemment, la promotion du patrimoine, c’est bon tant que ce n’est pas chrétien, voire catho. Ainsi, dans le numéro de juillet, la Vallée des Saints bénéficie d’un très bel article de plusieurs pages, mais malheureusement gâché par l’accent christianophobe qui se perçoit en filigrane. Car pour le rédacteur étonné par le succès, tant qu’il s’agit de mettre en avant les saints légendaires, ça passe, mais faudrait peut-être pas exagérer. Conscient que « la Vallée des Saints a un rôle fédérateur pour une Bretagne ouverte sur le monde », il se sent obligé de préciser que « plus on assiste à un succès massif, plus d’une certaine façon, le projet est “déchristianisé” et élargit son public ». Comme si le fait d’affirmer son identité chrétienne faisait que l’on se ferme à l’autre. Comme si le fait d’affirmer son identité bretonne faisait que l’on se ferme à l’autre, pourrions-nous dire si l’on pousse le raisonnement plus loin.
Car est-il utile de préciser que faire table rase du christianisme en Bretagne ou en atténuer l’apport, c’est faire preuve d’un colonialisme intellectuel qui n’est que le fruit empoisonné de la Révolution Française ? Tu parles d’une ouverture au monde…
Il s’agit donc d’une assertion gratuite qui laisse transparaître une christianophobie latente cautionnée par la rédaction en validant cette publication. Et pourtant, un autre rédacteur publie dans le même numéro un excellent article sur l’abbaye de Llaniltud Fawr, en Galles, appuyant sur l’influence de ce monastère désormais fantôme. Mais cet apport appartient au passé. Pas la Vallée des Saints qui elle se conjugue au présent et au futur.
Nous aurions aimé nous tromper dans notre constat mais il se vérifie par la suite de l’article : ainsi, le choix d’inclure saint Vincent Ferrier, qui n’est certes pas breton, selon le vœu du diocèse de Vannes dans le cadre du Jubilé, provoque la surprise de l’auteur, et il n’en faut pas moins pour que celui-ci passe au point Godwin : est-ce un bon choix pour illustrer l’humanisme breton que de faire appel à ce « prédicateur fanatique poussant à la conversion forcée des juifs et des musulmans », ce saint « aux prêches encensés par les traditionalistes » se demande-t-il. En une quinzaine de lignes l’auteur use de tous les qualificatifs habituels. Pour un peu, il convoquerait Hitler, les soucoupes volantes, le KGB, et tous les sujets dits “putaclic”, poncifs évoqués éternellement par ceux qui ne connaissent pas le sujet. On en rajoute en disant que la majorité des saints ne sont pas reconnus par le Vatican, mais nous y reviendrons histoire de casser les idées préconçues.
Et se pose alors la fatale question d’un Philippe Abjean, fondateur de la Vallée des Saints, qui dans un clip dit que « la Vallée des Saints peut être une école de spiritualité et un lieu de réévangélisation ». Oupss… on part dans le prosélytisme. Comme si l’affirmation de l’aspect chrétien et la mise en avant de l’exemple de nos saints fondateurs étaient un frein à l’universalité.
Il y a dans notre société un problème d’affirmation de soi que l’on voit comme une barrière. Or il y a quelque chose d’œdipien dans cette hantise face à un héritage non assumé. Alors nous posons la question : pourquoi ne pas voir simplement dans cette œuvre magistrale qu’est la Vallée des Saints tout simplement ce que c’est ? Un livre à ciel ouvert que n’importe qui, croyant ou non, peut visiter. Un lieu dont l’objet est « LA SAUVEGARDE, LA DÉCOUVERTE ET LA PROMOTION DE LA CULTURE POPULAIRE BRETONNE LIÉE AUX SAINTS BRETONS SOUS FORME DE CRÉATION ARTISTIQUE ». S’ils sont saints, ce n’est ni par le biais d’un paganisme, ni par un humanisme horizontal, mais bien parce qu’ils étaient chrétiens. Lorsque je vais à Kuala Lumpur et que je vais visiter les grottes de Batu, je n’attends pas à ce qu’on efface le fait que ce soit un sanctuaire hindou. Lorsque je vais au Taj Mahal, je ne me sens pas rejeté parce que cela ne correspond pas à ma croyance.
Pourquoi donc avoir peur d’affirmer que tous ceux dont on est fier de présenter la sculpture étaient chrétiens ? Pourquoi avoir peur de dire qui étaient nos aïeux ? Pourquoi avoir peur de dire qui on est ?
Peut-être parce qu’on ne sait simplement plus qui on est…
Source : Ar Gedour, 3 août