J’ai déjà consacré plusieurs posts à cette douloureuse et interminable affaire : voyez ici, ici, là et encore là. Les scandaleux atermoiements du système judiciaire pakistanais – pas mois de sept renvois de l’appel contre la condamnation à mort de Sawan Masih pour un blasphème qu’il n’a pas commis –, laissent pantois sur la manière dont la justice est administrée au Pakistan. Ce n’est pas une nouvelle, certes, mais la chronologie de l’affaire, que vous trouverez ci-dessous, en dit long aussi sur le calvaire que subit Sawan Masih…
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Rappelons les faits. Sawan Masih, un chrétien de 31 ans et père de trois enfants, était cantonnier dans la ville de Lahore, capitale du Pendjab. Le 7 mars 2013, lors d’une conversation avec son ami musulman Shahid Imran – avec des amis comme ça, on n’a pas besoin d’ennemis… –, il lui aurait déclaré : « Mon Jésus est réel. Il est le fils d’Allah [pas d’autre mot au Pakistan pour dire Dieu]. Il reviendra, tandis que ton prophète est faux. Mon Jésus est vrai, il donnera le salut ».
Le lendemain, 8 mars, Shahid prétendit que Sawan avait blasphémé contre Mahomet. L’affaire fut amplifiée, c’est le cas de le dire, par les hauts parleurs de la mosquée locale, – qui ne servent donc pas qu’a appeler à la prière… Une foule de milliers de musulmans en colère attaqua le 9 mars la maison de Sawan, dans la Joseph Colony de Lahore, où vivent essentiellement des chrétiens. Non content de piller sa maison, ils incendièrent 180 maisons chrétiennes, 75 boutiques tenues par des chrétiens et au moins deux églises. Des centaines de familles chrétiennes durent fuir la Joseph Colony. Sawan fut capturé par les émeutiers et livré à la police et jeté en prison : il s’y trouve toujours six ans plus tard…
En raison de la pression exercée par la rue, le premier procès de Sawan se tint dans sa prison. Sawan affirma son innocence et accusa Shahid d’avoir menti pour servir les intérêts d’un homme d’affaires musulman local, en vue de chasser les chrétiens de la Joseph Colony et de récupérer les terrains. Le juge Chaudrhy Ghulam Murtaza condamna le 27 mars Sawan Masih à la peine de mort en application de la loi sur le blasphème. L’avocat du chrétien fit appel de la condamnation.
Le jugement d’appel devait intervenir le 28 janvier de cette année, mais le juge ne s’étant pas présenté à l’audience, il fut repoussé au 27 février.
Ce jour-là, en raison paraît-il du nombre de dossiers à traiter, l’affaire de Sawan Masih ne fut pas jugée et elle fut repoussée au 29 mars.
Elle ne se tint pas davantage de jour-là et fut de nouveau repoussée au 3 avril.
Un des trois juges n’étant pas présent, l’affaire fut une nouvelle fois ajournée au 22 suivant. L’avocat du plaignant ne se présenta pas à l’audience et demanda un nouveau report.
On annonça en mai que l’audience se tiendrait le 12 juin. Mais les juges refusèrent de statuer au motif que le procureur général n’était pas présent et s’était fait représenter par le procureur général adjoint, ils renvoyèrent l’affaire au 24 juin suivant.
Le procureur général ne s’étant pas présenté à l’audience, le tribunal renvoya, pour la septième fois, l’affaire à une date ultérieure qui fut fixée au 17 septembre dernier.
Ce jour-là, le juge Mazhar Ali Akbar refusa de statuer et renvoya l’affaire devant le tribunal anti-terroriste (Anti-terrorism court, ATC). L’avocat de Sawan rappela que l’affaire avait déjà été renvoyée à l’ATC mais que le juge l’avait refusée, disant qu’elle ne relevait que de la Cour d’appel. Le juge Mazhar Ali Akbar campant sur ses positions, a exigé que l’affaire soit de nouveau transmise à ACT et que si, de son côté, l’ACT s’en tenait à sa première décision, alors la Cour d’appel se saisirait de l’affaire.
Je ne sais pas comment on dit kafkaïen en ourdou, mais nous sommes dans un système judiciaire qui ne vaut décidément pas grand chose. N’oublions pas que Sawan Masih, un chrétien innocent condamné à mort, croupit en prison depuis 79 mois !
Source : Church in Chains, 19 septembre 2019.
Cette affaire est horrible. Cependant ce courageux chrétien à mon avis fut bien imprudent de déclarer à son compatriote musulman “ton prophète est faux” dans un pays comme le Pakistan. Il eût fallu faire preuve de davantage de diplomatie en essayant de l’amener à Jésus, mais le prosélytisme est interdit dans ce pays et le résultat aurait peut-être été le même.
@Françoise
Ce n’est pas ce que je dis dans cet article. Cette phrase est alléguée par “l’ami” du chrétien, aucun tiers ne l’a entendue. Ce fut la même chose pour Asia Bibi accusée d’avoir prononcé des paroles dérogatoires contre Mahomet. La Cour suprême a fini par la laver de toutes ces imputations. Les chrétiens du Pakistan ont de l’expérience : ils savent très bien ce qu’ils risquent en prononçant de telles phrases, donc ils s’abstiennent de les prononcer.