Deux témoignages sur les pogroms antichrétiens en Orissa
Le 25 octobre dernier, à l’occasion de la parution de leur ouvrage (Martyrs d’Orissa, Nouveaux témoins du Christ en Inde, Anto Akkara, AED, 2013), le P. Dibakar Parichha, porte-parole de l’archidiocèse catholique de Cuttack-Bubhaneswar et avocat, et le P. Mrutyunjaya Digal, trésorier de l’archidiocèse, ont répondu, à Paris, aux questions d’Églises d’Asie. Voici l’intégralité de cet entretien.
Eglises d’Asie : Vous avez été les témoins directs des violences de 2008 en Orissa. Quel a été le déclenchement des pogroms antichrétiens ?
P. Dibakar Parichha : Cela faisait longtemps déjà qu’il y avait une campagne de haine contre les chrétiens de la part des hindouistes en Orissa et en particulier au Kandhamal. La grande majorité des chrétiens de la région sont des “tribals” (aborigènes) ou des dalits (ex intouchables), et les extrémistes hindous veulent pouvoir continuer à les soumettre à des pratiques inhumaines et des discriminations de toutes sortes pour pouvoir garder un pouvoir sur eux. C’est pourquoi ils accusent sans cesse les chrétiens de « conversions forcées », leur demandant de revenir à leurs anciennes croyances hindoues (ce qui pour les “tribals” est non seulement faux bien sûr, mais absurde parce qu’avant d’être chrétiens ils étaient animistes et non pas hindous).
En tant porte-parole du diocèse, j’ai été chargé de rapporter les premières attaques et de recenser jour après jour les morts et les destructions... Je suivais la situation heure par heure pour coordonner l’aide aux victimes. Grâce au téléphone portable, beaucoup de vies ont pu être sauvées : cela a permis d’aider les chrétiens à trouver un endroit sûr, de les localiser dans la jungle, de venir les chercher si besoin était, et de répondre aux appels de détresse de ceux qui recevaient des menaces de mort.
Aujourd’hui, selon les chiffres de l’archidiocèse, le bilan de ces semaines de violences s’élève à une centaine de morts, près de 60 000 personnes déplacées, et des milliers d’habitations, de lieux de culte et d’institutions détruits.
EDA : Pourquoi cette vague de violence n’a-t-elle pu être stoppée par les autorités ?
P. Mrutyunjay Digal : Parce qu’à l’origine de cette persécution, la pire qui ait jamais atteint les chrétiens en Inde, il y a une idéologie, l’hindutva [idéologie de l’extrême-droite hindoue, qui identifie l’hindouisme à la nation indienne (NdlR)], qui est celle de ceux qui nous ont attaqués mais aussi celle du gouvernement de l’Orissa, de la police et des fonctionnaires. C’est une question de pouvoir : les hindous se sentent menacés par les chrétiens parce qu’ils ont peur de ne plus contrôler les basses castes comme avant.
Ils se sont ensuite réfugiés dans les camps du gouvernement et ont été transférés plusieurs fois dans d’autres centres, attendant une aide de l’État qui n’est jamais venue. Au lieu d’aider les chrétiens à revenir dans leur village ou d’arrêter les coupables des violences, le gouvernement a dit qu’il ne pouvait pas garantir la sécurité des réfugiés qui retourneraient à Betticola et il a proposé une réinstallation à plusieurs km de là, dans des terrains recouverts par la jungle et incultivables.
Les habitants pensent aujourd’hui qu’ils ne pourront jamais revenir à Betticola à cause des menaces des membres du Sangh Parivar [mouvance extrémiste hindoue, NDLR], qui n’ont même pas été inquiétés par la police et continuent de menacer les chrétiens de mort s’ils reviennent sans se convertir à l’hindouisme. La seule action du gouvernement a été de forcer les réfugiés à participer à des « comités de discussion pacifiques» avec les extrémistes hindous qui se sont servis de ces réunions pour intimider encore plus les chrétiens.
Comme je suis prêtre, les hindouistes se sont particulièrement acharnés sur ma mère et mes deux frères vivant à Betticola. Quelques jours après la première attaque d’août 2008, mon village en a subi une autre, à cause de faux documents publiés par un groupe hindouiste, le Hindu Jagaran Manch(HJM, Front de réveil des hindous) qui prétendait que la paroisse avait décidé en conseil de tuer le swami. Le 27 août, lors de cette attaque, mon frère aîné a été forcé par les hindouistes à effectuer un rite de conversion à l’hindouisme, après avoir eu le crâne rasé et avoir été obligé d’avaler de l’urine et de la bouse de vache.
Il y a beaucoup d’autres villages au Kandhamal qui ont vécu ce genre de choses, sans compter les conversions forcées de masse et les assassinats. Les chrétiens aujourd’hui doivent vivre avec ces expériences traumatisantes et le fait que cela ne semble pas avoir de fin.
EDA : Cinq ans après les faits, où en est la situation en Orissa ? Les chrétiens ont-ils renoncé à recevoir justice ?
P. Parichha : Les chrétiens sont découragés et se sentent abandonnés du système judiciaire. Il y a trop de coupables qui sont encore en liberté ou qui ont été relâchés après une parodie de procès, trop de crimes impunis, trop d’injustices concernant la réhabilitation des victimes ou encore de compensations versées absolument dérisoires.
Sur un total de 3 232 cas de violence ayant fait l’objet d’une plainte devant les autorités de police, la police en a officiellement enregistré 828. Parmi ces plaintes, seules 327 ont été suivies d’un procès devant un tribunal pour aboutir à 86 condamnations seulement. Les tribunaux ont acquitté 1 597 suspects alors que des milliers d’autres agresseurs n’ont jamais été contactés par la police.
Les procès n’avancent pas, les témoins se retirent à la dernière minute parce qu’ils ont été menacés, les juges, comme les policiers se soumettent aux pressions du Bharatya Janata Party(BJP), la parti hindouiste. Un exemple : celui de Manoj Pradan, député BJP au Parlement de l’Orissa pour la circonscription de G. Udayagiri au Kandhamal. En septembre 2010, il a fini par être condamné à six ans de prison ferme pour meurtre. Cela semble une peine peu sévère mais cela a représenté une grande victoire pour la communauté des chrétiens de l’Orissa pour laquelle il incarnait l’impunité totale dont jouissaient les auteurs des attaques. Il s’était même présenté aux élections en 2009 et avait été élu au parlement de l’Orissa, alors qu’il était encore en prison, toujours pour meurtre ! Les centaines de témoins de ses crimes avaient eu peur de venir au tribunal et s’étaient désistés : il avait été blanchi de toutes les accusations portées contre lui. Il semblait que l’on ne pouvait rien faire contre ces forces cachées qui tiraient les ficelles de l’appareil judiciaire. Cela a été long, mais finalement la persévérance a permis cette petite victoire.
En revanche, la récente affaire des sept chrétiens condamnés pour le meurtre de Laxmanananda Saraswati, a fortement abattu la communauté chrétienne, qui y a vu une nouvelle preuve de l’injustice qui règne toujours dans le système judiciaire au Kandhamal. Les sept accusés étaient des adivasi (“tribals”) qui avaient justement été des victimes des violences des hindouistes. Il n’y a non seulement aucune preuve de leur culpabilité mais cela fait très longtemps que les maoïstes ont reconnu avoir assassiné le swami. Nous avons bien entendu interjeté appel de ce verdict devant la Haute Cour de l’Orissa.
P. Digal : Depuis cinq ans, les chrétiens attendent qu’on leur fasse justice ; ils veulent au moins être respectés et que ce qu’ils ont vécu soit reconnu et non plus nié.
Quant aux compensations financières, très peu a été fait malgré les promesses du gouvernement, des centaines d’églises n’ont même pas encore fait l’objet d’estimation pour les réparations et reconstructions que l’État s’était engagé à effectuer en moins d’un an. Il y a encore beaucoup de chemin à faire pour que les victimes soient indemnisées. Pour le moment ce n’est pas le cas.
De plus, nos fidèles sont une population pauvre qui ignore tout des complications du système judiciaire. Les gens sont démunis et nous les aidons du mieux que nous pouvons en leur procurant l’aide d’un avocat qu’ils n’auraient jamais eu la possibilité de payer, en assurant également leur protection, en leur procurant de quoi vivre, ou de quoi permettre à leurs enfants d’être à l’abri et parfois d’aller à l’école.
Dans beaucoup de cas, nous ne pouvons faire davantage qu’essayer de soutenir les victimes par la prière et de mettre en place des groupes d’aide. Le chemin de la guérison, comme celui de la justice, va encore prendre beaucoup de temps.
Daniel Hamiche est journaliste et président de l’association Amitié catholique France/États-Unis. Il a lancé, en 2007, le blogue Americatho (aujourd’hui membre du portail de réinformation Riposte Catholique). Il est administrateur et rédacteur du blogue L’Observatoire de la Christianophobie.
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