Voici une réflexion de grand intérêt. Elle émane du Père Benedict Kiely. Né en 1963 dans une famille catholique anglaise, mais éduqué dans des institutions anglicanes et imprégné par l’anglicanisme « classique » – la via media entre le protestantisme genevois et le catholicisme romain –, il sera ordonné prêtre catholique en 1994. Vivant depuis longtemps aux États-Unis, il est aujourd’hui incardiné dans l’Ordinariat personnel Our Lady of Walsingham, créé en Angleterre en 2011, qui rassemble les prêtres et les fidèles autrefois anglicans et désormais membres de l’Église catholique en vertu de la Constitution apostolique Anglicanorum cœtibus de Benoît XVI. Au cours de l’été 2014, le Père Kiely s’est senti appelé à consacrer son ministère à l’aide et à la défense des chrétiens persécutés, notamment à ceux du Moyen-Orient, apostolat qu’il mène à partir de son œuvre de bienfaisance Nazarean.org dont le siège est à Stowe, dans le Vermont. Il est un contributeur de Crisis Magazine, remarquable blogue catholique étatsunien, et son correspondant pour le Moyen-Orient. C’est de ce blogue que nous avons tiré et traduit cette contribution du Père Kiely.
*
C’est une opinion largement répandue, au moins aux États-Unis, que le plus grand prédicateur en langue anglaise du XXe siècle fut Fulton J. Sheen. Assurément, l’archevêque Sheen en fut l’un des grands – pour ne rien dire du fait qu’il fut un pionnier du télévangélisme. Néanmoins, le meilleur prédicateur du siècle fut, en vérité, un Anglais : Monseigneur Ronald Knox.
L’exceptionnel don de Knox en tant que prêcheur, tient au fait que ses sermons écrits sont des œuvres en prose sublime, toujours capables d’inspirer les lecteurs des décennies après qu’ils furent écrits et prononcés. Bien qu’un sermon soit censé être prononcé, Knox s’arrangeait pour trouver la manière de créer une ligne complète ou une expression particulière dans chacune de ses oraisons, dignes des plus grands essayistes du passé : un Swift ou, bien sûr, un Belloc 1.
Prononçant le panégyrique lors des funérailles de Belloc (on n’avait pas, en ces temps-là, l’omniprésence de l’éloge funèbre), Knox décrivit Belloc comme un prophète, et il donna l’une des meilleures définitions de la vocation difficile et solitaire du prophète. Le prophète, déclara Knox, est le seul qui peut « voir les maux de notre temps en pleine lumière ».
La persécution des chrétiens, partout dans le monde, est un des grands maux de notre époque. Le XXe siècle a vu la mort de plus de chrétiens, sous les régimes athées nazi et communiste, que pendant tous les siècles qui l’ont précédé. La première décennie du XXIe siècle a vu réapparaître d’anciens persécuteurs de la foi – quelque chose que Belloc avait prévu après la défaite de l’empire Ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale.
La menace n’est pas seulement posée par l’islam radical (assurément la cause la plus meurtrière et la plus répandue de la persécution des chrétiens de nos jours), mais aussi par l’hindouisme et le bouddhisme radicaux. Bien que n’ayant pas encore expérimenté la persécution jusqu’à la mort, le nouveau et hideux sécularisme de l’Occident apporte une persécution d’une autre sorte.
*
Prêchant un message vide de tolérance, les souriants agents de la liberté trouvent intolérable de permettre aux chrétiens de vivre leur foi et, de plus en plus, qu’elle s’applique dans certains métiers. Ceci ne pourra aller qu’en empirant. De l’Irak à l’Indonésie, de la Syrie au Nigéria, au Pakistan, en Égypte et au Mali, les chrétiens sont quotidiennement martyrisés à cause de leur foi. L’Europe n’est pas épargnée : il suffit qu’on se souvienne du vieux Père Jacques Hamel, martyrisé en Normandie alors qu’il célébrait la Messe. Il ne fait guère de doute que de telles agressions sont susceptibles d’augmenter en nombre.
Toutefois, malgré le tsunami de persécution qui inonde tant de parties du monde, il y a quelques rares voix prophétiques qui réagissent à ce mal. La presse grand public est remarquablement silencieuse sur les attaques contre les chrétiens. La même semaine qui vit l’affreuse attaque contre la mosquée de Christchurch, en Nouvelle-Zélande – un crime haineux et inadmissible –, plus de deux cents chrétiens étaient tués au Nigéria. On fit à peine mention de ces derniers dans les médias. Il n’y eu point de marches pour les chrétiens martyrs, pas de volées de cloches dans les églises à la demande des gouvernements, pas de maillots « Je suis Charlie » 2… aucune indignation publique.
On pourrait faire valoir qu’une des fonctions d’un média efficace, serait de mettre en application quelques unes des qualités prophétiques identifiées par Knox : voir et nommer les maux du jour. Peut-être que pour certains, les attaques contre les chrétiens ne sont pas un mal. Même ceux qui sont de fait investis, de par leur vocation, à exercer une fonction prophétique – à savoir les évêques et les prêtres – semblent curieusement silencieux sur le massacre actuel de nos coreligionnaires.
C’est peut être l’ignorance, ou le mortel péché d’indifférence, qui fait que les sentinelles gardent le silence. Mais comme l’a dit Jan Figel, l’envoyé de l’Union européenne pour la liberté religieuse, « l’ignorance et l’indifférence sont des alliées du mal » 3.
*
L’archevêque Bashar Warda 4 d’Erbil a identifié une autre raison du silence de tant de clercs sur la persécution : la peur d’être étiqueté « politiquement incorrect » – tout particulièrement en raison d’une quelconque critique de l’islam. Pourtant, les disciples du Christ ont été persécutés dès le début. De fait, le Christ a promis aux fidèles chrétiens qu’ils recevront le même traitement qu’Il a reçu.
Ignatius Ephrem, le patriarche syriaque orthodoxe de Damas, fait souvent référence à la persécution comme à la « marque » de l’Église ; Elle est une, sainte, catholique, apostolique et persécutée. Elle considère le martyre, l’effusion de notre sang pour le Christ, comme le plus grand acte de témoignage. La « nuée de témoins » 5 elle-même, décrite par saint Paul dans son épître aux Hébreux, a toujours été pour l’Église une source d’inspiration et d’encouragement.
Des premiers martyrs de Rome aux martyrs anglais de la Réforme et jusqu’aux martyrs de l’âge actuel, les histoires de l’héroïque fidélité de ces hommes et de ces femmes, sont censées réveiller et renforcer la foi de chrétiens léthargiques et paresseux. Et il n’y a pas que les martyrs qui inspirent. Les confesseurs le font aussi, ceux qui acceptent de perdre propriété et position à cause de leur foi. Voyez les chrétiens d’Irak qui persévèrent dans leur patrie, ou les pâtissiers et les fleuristes qui ne veulent pas satisfaire des demandes pour des mariages de personnes de même sexe, ou encore des médecins et des infirmières qui refusent de faciliter l’avortement.
*
Ces martyrs et confesseurs des temps modernes posent également une curieuse question concernant la manière dont les chrétiens doivent faire face à la persécution : combattre ou fuir ?
C’est une question éternelle, et une question qui s’adresse à ce que nous pourrions appeler le paradoxe de la persécution. Sauf dans les cas où les persécuteurs ont presque réussi à anéantir l’Église, comme dans l’Albanie d’Enver Hodja ou dans la Corée du Nord contemporaine, l’Église persécutée a tendance à faire preuve de l’énergie et de la fidélité surnaturelles décrites dans les Actes des Apôtres. (Songez à l’Église polonaise dans les années du communisme ou à l’Église catholique ukrainienne clandestine.) Cependant, la liberté de pratiquer sa foi sans persécution de masse conduit à l’assimilation aux normes sociales. Un goutte à goutte d’apostats, notamment chez les jeunes gens et les intellectuels, vide lentement l’Église.
« Ce n’est pas ce qu’un homme souffre, mais la cause pour laquelle il souffre qui fait d’un homme un martyr », a écrit Ronald Fox. C’est un scandale que ceux qui proclament la religion des droits de l’homme n’élèvent pas la voix en défense des chrétiens persécutés. Défendre les persécutés, quel qu’en soit le coût pour nous, n’est pas une option pour ceux qui se disent chrétiens : c’est la seule voie qui s’offre à nous. Mais le paradoxe de la persécution veut vraiment dire que sans ces martyrs et confesseurs, nous pourrions oublier à quoi ressemble le témoignage authentique.
Source : Crisis Magazine, 4 septembre 2019 (traduit par nos soins).
- Hilaire Belloc (1870, + 1953), écrivain franco-anglais et militant catholique aux côtés de G.K. Chesterton.
- En français dans le texte.
- Dans un tweet du 29 janvier 2017, puis dans un entretien accordé à Evangelical Focus, publié le 18 décembre 2018. La réflexion de Jan Figel est légèrement différente : « Les pires alliés du mal sont au nombre de trois : l’indifférence, l’ignorance et la peur ». Sur Jan Figel, cf. Chrétiens Persécutés n° 8 (septembre 2019), pp. 3-5.
- Sur Mgr Warda, cf. Chrétiens Persécutés n° 7 (août 2019), pp. 9-10.
- 12, 1.
Très grand merci M. Hamiche d’avoir déniché et traduit cet excellent article qui pourrait bien être le texte d’un sermon lu dans toutes les églises chrétiennes !
Après deux lectures successives de ce texte important, la phrase magistrale à retenir est celle-ci : ” Défendre les persécutés, quel qu’en soit le coût pour nous, n’est pas une option pour ceux qui se disent chrétiens : c’est la seule voie qui s’offre à nous. ”
Merci @M. Hamiche pour l’énorme travail que vous faites pour que nous ne l’oublions jamais !