Nos confrères de Médias-Presse.Info ont publié hier 1er novembre, un article consacré au film La Promesse qui sort en salles le 29 novembre. Produit intégralement par un homme d’affaires étatsunien d’origine arménienne, Kirk Kerkorian, le film, sorti aux États-Unis en avril de cette année sous le titre The Promise, évoque l’opération menée en 1915 par cinq bâtiments de l’escadre de la Marine française en Méditerranée, qui a permis de sauver plus de 4 000 chrétiens arméniens. Est-il vraiment surprenant que ce film qui évoque une opération des plus honorables de la Marine française, n’ait bénéficié d’aucun financement français pour sa production ? L’historien arménien Georges Kevorkian a consacré un ouvrage à cette opération : La Flotte française au secours des Arméniens. 1909-1915 (Marines Éditions, 2008). L’auteur avait accordé à l’hebdomadaire Le Point, en 2008, un long entretien notamment sur l’opération dite de Musa Dagh (Mont Moïse), qu’évoque le film. Voici un extrait de cet entretien.
En 1915, des Arméniens de la région du mont Moïse, sur le golfe d’Alexandrette (aujourd’hui Iskenderun), sont acculés par les Turcs. Leur salut viendra de la mer et de la marine française. Pourquoi est-elle intervenue ?
Fin octobre 1914, l’Empire ottoman se joint aux forces allemandes et autrichiennes (Empires centraux) pour combattre le bloc des pays de l’Entente (Grande-Bretagne, France et Russie). C’est ce qu’on a appelé le “théâtre oriental” de la Grande Guerre. En septembre 1915, la 3e escadre de la flotte de combat française en Méditerranée, aux ordres de l’amiral Gabriel Darrieus (qui vient de prendre le relais de l’amiral Louis Dartige du Fournet devenant chef de l’armée navale en Méditerranée), patrouille le long des côtes de Syrie, proches du golfe d’Alexandrette et du mont Moïse (Musa Dagh). Le 10 septembre, le croiseur Guichen aperçoit des groupes d’hommes descendant de la montagne vers la plage : plusieurs milliers d’Arméniens acculés à la mer fuient la barbarie des Turcs qui les pourchassent pour les déporter (la mort leur étant promise), en application du crime “génocidaire” décidé par les autorités ottomanes. Ils brandissent un pavillon de la Croix-Rouge, des pavillons français, et (dit-on) un drap sur lequel a été dessinée la croix du Christ. La décision est prise par l’amiral Dartige du Fournet, avant de quitter son escadre : « Il faut sauver ces Arméniens chrétiens (combattants, femmes, enfants, vieillards) du joug des bachi-bouzouks, des Turcs, nos ennemis. »
Dans quelles conditions cette opération de sauvetage de grande ampleur s’est-elle déroulée ? Quel en fut le bilan ?
L’accord demandé aux autorités françaises de Paris tarde à venir, mais l’organisation du secours est bien en place et sera exécutée par l’amiral Darrieus du 11 au 13 septembre. Au total, le nombre d’Arméniens sauvés par cette opération navale s’élève, très exactement, à 4 092, dont 8 blessés, répartis comme suit : le croiseur cuirassé amiral Charner : 347, le croiseur cuirassé Desaix : 303, le croiseur de 3e classe D’Estrées : 459, le croiseur auxiliaire Foudre : 1 042, le croiseur de 1re classe Guichen : 1 941. Ces réfugiés vont être placés dans des camps situés à proximité de Port-Saïd, grâce à l’accord des autorités anglaises qui les accueillent le 14 septembre. Parmi ces réfugiés se trouvent des combattants dont certains rejoindront la légion arménienne du général français Julien Dufieux, en 1920.
Ces épisodes de l’histoire navale de la France sont peu connus. Sont-ils commémorés avec une intensité suffisante, à vos yeux ?
Ils sont connus par la plupart des Arméniens, grâce notamment au roman Les 40 jours de Musa Dagh de Franz Werfel, paru en 1934. D’autres ouvrages évoquent ces événements et les actes héroïques des marins français. Les mémoires des amiraux des escadres du Levant en font état. Ce qu’on doit retenir des écrits de ces derniers, c’est le décalage entre leurs actions de protection des chrétiens d’Orient et le recul (pour ne pas dire l’abandon) de la diplomatie française en 1922 et 1923 (désastreux traité de Lausanne). La France n’est plus dès lors « protectrice des chrétiens d’Orient ». La sortie de mon ouvrage a favorisé plusieurs commémorations. Le 5 mai 2010, un hommage a été rendu devant la tombe de l’amiral Dartige du Fournet à Saint-Chamassy (Dordogne) en présence du maire du village, du sous-préfet de la Dordogne et de descendants d’Arméniens sauvés du mont Moïse. Le 15 octobre 2010, à Toulon, une cérémonie d’hommage a été rendue à la marine française par le secrétaire d’État aux Anciens Combattants M. Hubert Falco, maire de Toulon, en présence de l’ambassadeur d’Arménie en France et d’autorités civiles et militaires, dont le préfet maritime. Une plaque est posée au musée de la Marine, près de l’Arsenal maritime.
Source : Médias-Presse. Info, 1er novembre
http://www.bvoltaire.fr/reconnaissance-genocide-armeniens-honte-a-letat-disrael/
Il faut saluer la mémoire de celui qui fut l’un des premiers à parler du sauvetage des Arméniens du Moussa Dagh : Franz Werfel.
Né à Prague le 10 septembre 1890, il meurt à Beverly Hills en Californie le 26 août 1945.
Dans son livre “Les 40 jours du Moussa Dagh”, le Mont Moïse, il décrit les 40 jours de combat héroïque d’une poignée d’Arméniens face aux soldats turcs, jusqu’à leur sauvetage par des navires français.
Franz Werfel avait commencé cette œuvre à Damas, en 1929. Elle a, depuis, été publiée en 18 langues. Une première adaptation au grand écran par la Metro Goldwyn-Mayer, vers la fin des années 1930 avait été empêchée par la turquie qui avait demandé l’intervention du gouvernement des États-Unis. En 1982, une deuxième tentative n’a pas eu l’impact souhaité, par manque d’argent. Plus tard, l’acteur Sylvester Stallone décide de porter le sujet à l’écran mais la turquie ne cessant de pousser ses ressortissants à inonder l’acteur de lettres de protestation, il renonce face aux pressions. Après lui, Mel Gibson s’empare du sujet mais il doit renoncer à son tour.
Les réalisateurs américains semblent libres d’aborder les sujets de leur choix, même les plus scabreux. Mais parler des Arméniens…
Avec “La Promesse”, il semblerait que le producteur Kirk Krikorian ait réussi à libérer enfin la parole et l’image de vérité.
Il faut tout de même noter que si les Arméniens du Moussa Dagh ont été libérés, ils le doivent essentiellement au courage des marins Français et de leurs chefs qui n’ont pas attendu l’accord de la frileuse diplomatie française…
En souvenir de ce sauvetage, les descendants des Arméniens du Moussa Dagh, qui se sont installés en Arménie, fêtent chaque année cet anniversaire en offrant à tous, gratuitement et à volonté, le plat traditionnel appelé Kechkèg.
Les lecteurs de l’Observatoire y seraient sans nul doute les bienvenus.
Voici la bande annonce du film :
https://youtu.be/ODn5-gb8gbQ