L’hommage de Guillaume de Thieulloy
Voici si longtemps que nous travaillions ensemble sur mille sujets – pas tous très sérieux – que j’ai encore du mal à réaliser que Daniel Hamiche nous a quittés. C’était mon plus vieux complice, dont je fus le collaborateur pendant des années à « Légitimiste » et Communication & Tradition, et qui devint le mien par un de ces détours dont la Providence a le secret dans la nébuleuse de blogues où nous sévissons (où nous exerçons notre capacité de nuisance selon l’expression qu’il affectionnait), notamment pour Riposte catholique et l’Observatoire de la christianophobie – mais, beaucoup plus qu’un collaborateur, il était le vieux sage capable de m’encourager à foncer ou de me conseiller la prudence et nous n’avions pas besoin de palabrer longtemps pour savoir ce que nous devions faire pour accomplir notre devoir de journalistes catholiques et (donc) contre-révolutionnaires.
Je l’ai rencontré en 1993, dans le contexte du bicentenaire de la Terreur – j’étais déjà médiocrement jacobin. Mais c’est surtout quand il lança Communication & Tradition vers 1995 que j’ai commencé à fréquenter assidûment sa merveilleuse boutique de la rue Didot – et la « Mangeoire », bistrot mitoyen qui nous servait d’annexe.
Nous avons été ensemble sur tant de combats que je ne saurais les évoquer tous : pour la messe, pour la défense des enfants à naître, pour les chrétiens persécutés, pour le roi – et toujours finalement, pour le dire d’un mot qui les résumait tous dans son esprit, pour le Christ-Roi. La manchette de notre cher « Légitimiste » – que je l’avais poussé, avec une inconscience qui m’effraie quand j’y repense, mais que je ne regrette pas le moins du monde, à transformer en hebdomadaire – était d’ailleurs tirée de la post-communion de la solennité du Christ-Roi : « Sub Christi Regis vexillis militare gloriamur ». Lui qui n’était pas latiniste était ravi du jeu de mots qu’il y lisait en tordant à peine le texte : non pas seulement nous sommes fiers de combattre sous les étendards du Christ Roi, mais aussi nous sommes fiers de combattre avec le roi sous les étendards du Christ.
Daniel avait découvert le combat politique à l’extrême gauche – là où le « non serviam » luciférien est le plus monstrueusement conséquent. Quand il revint à la foi de son baptême, il ne l’envisagea plus jamais autrement que comme un combat pour que le Règne du Christ advienne dans son âme, mais aussi sur la nation et sur l’humanité tout entière. Son amour de la messe traditionnelle tenait d’abord à cet amour de la Royauté du Christ : toute la messe traditionnelle est orientée (c’est bien le cas de le dire) vers l’adoration du Créateur, à qui le Christ rend par les mains du prêtre, admirablement effacé et pour ainsi dire invisible, le sacrifice parfait et digne de Lui.
Mais Daniel n’était pas seulement un valeureux combattant de la foi catholique, si piétinée et méprisée dans notre monde, il était aussi un homme de fidélité au plan tout simplement naturel. Quelle fête il faisait à ses amis qui faisaient escale rue Didot ou, plus tard, à « L’Homme nouveau » (qui l’avait très gentiment accueilli après le retentissant effondrement de notre toute petite maison d’édition, achevée par le grand combat pour la « Passion » de Mel Gibson) ou dans tous les « rades » que nous avons écumés autour de Montparnasse (le plus souvent tenus par des Coptes ou d’autres chrétiens d’Orient pour joindre l’utile à l’agréable : le soutien à des frères persécutés et une bonne bouteille de « rouge bien frais ») !
Moi qui étais alors un gamin dans la Légitimité et qui n’avais connu que de loin la grande époque du millénaire capétien et que l’impressionnante ascension du prince Alphonse, je fis connaissance avec Daniel, grâce à Daniel, de bon nombre de fidèles. Comment ne pas évoquer ici le cher Pinoteau, la mémoire du légitimisme contemporain, le chancelier à la plume acérée, qui nous a quittés une semaine avant Daniel (et une semaine avant son épouse, qui nous semblait pourtant indestructible) ? Comment ne pas évoquer le cher abbé Chanut ? Et tant d’autres que je ne nommerai pas mais qui sont restés dans les prières quotidiennes de Daniel jusqu’à la fin.
Cette fidélité allait de pair avec une générosité fascinante. J’ai toujours connu Daniel fauché. Mais aussi toujours prêt à offrir l’obole de la veuve. Il fallait le voir arriver rue Didot chargé comme un baudet de cadeaux pour les enfants d’amis qu’il allait voir le samedi suivant. Que de fois ai-je été témoin (ou bénéficiaire !) de cette générosité touchante. Que de fois surtout ai-je vu des étoiles dans ses yeux quand il offrait une babiole à un enfant. Bien que n’ayant pas lui-même d’enfant (même si, à sa grande hilarité, un journaliste de la große presse comme il disait, l’avait un jour affublé de 5 petits-enfants), il était très proche des plus petits – qui le lui rendaient bien. Comme sainte Thérèse qu’il vénérait tant, il cultivait avec amour l’esprit d’enfance.
Enfin, on ne peut pas parler de Daniel sans parler de l’excellent compagnon qu’il était. Je ne sais pas combien d’heures nous avons pu passer à discuter en buvant tantôt une « moussette », tantôt un « rouge bien frais », selon ses principes extrêmement précis. Mais il avait le talent de rire dans l’adversité, de jeter un calembour absurde capable de mettre les rieurs de son côté. Ou, tout aussi facilement, de se hausser jusqu’aux plus fines discussions de théologie ou d’exégèse. Et souvent les deux à la fois. Je me souviens d’une émission sur Dieu sait quelle chaîne de télévision aux ordres, pendant sa campagne homérique pour la « Passion » de Gibson, où l’un de ces insupportables « experts » de salon avait commencé à l’attaquer son prétendu intégrisme, en pontifiant du haut de ses titres universitaires. Et Daniel, avec un bon sourire, avec sa voix chaleureuse, lui avait répondu en plagiant Pascal : Mais, cher Monsieur, je vous parle du Dieu de Jésus-Christ, pas du Dieu des philosophes et des savants. Le pauvre « expert » était retourné à la niche, un peu penaud !
L’Eglise militante, la France, le roi légitime, ont perdu un fidèle serviteur et nous tous, ses amis, nous avons la douleur de perdre un frère d’armes, mais j’ai bon espoir qu’avec la grâce de Dieu, le paradis se soit enrichi d’un nouveau saint aussi enjoué que militant – et que l’esprit français, fait de familiarité et de respect, de gaieté et de sérieux, soit à l’honneur au banquet céleste !
A Dieu, vieux camarade, réservez-nous une place !
Guillaume de Thieulloy
Merci M. de Thieulloy de cet éloge funèbre qui nous apprend beaucoup de choses sur M. Hamiche, en tout cas à ceux d’entre nous qui, comme moi, ne le connaissions exclusivement que par ce blogue de la Christianophobie.
Et plusieurs des traits de caractère que vous lui attribuez étaient parfaitement perceptibles dans nombre des articles de ce blogue.
Mais il avait un côté que vous n’évoquez pas et que j’appréciai tout spécialement, et pour cause car nous n’étions pas nombreux dans cette catégorie sur ce blogue à le suivre : je veux parler de son ouverture d’esprit rare chez des catholiques traditionalistes de ne pas prêcher que pour sa propre chapelle, mais à accepter de parler de la persécution des chrétiens non seulement catholiques, voire orthodoxes mais aussi protestants et des “pires” d’entre eux dont je fais partie : les protestants évangéliques. Il savait que les adversaires de la foi chrétienne attaquent indifféremment toutes les confessions chrétiennes, qu’ils n’ont aucune idée des différends théologiques qui nous séparent et qu’ils nous mettent tous dans le même sac. Et de toute façon, ces adversaires ont raison : par rapport à eux notre “capital commun” est énorme, ce qui nous réunit est bien plus important que ce qui sépare chacune de nos confessions. Si nous revenons au Notre Père ou même au symbole de Nicée Constantinople, nous pouvons tous les réciter ensemble sans aucune arrière-pensée.
Et bien, puisque nous sommes embarqués sur la même galère, serrons-nous les coudes et faisons cause commune, pensait M. Hamiche. Et les exemples sont innombrables de reprises de faits dénoncés par un grand nombre de publications protestantes, en particulier anglophones, pour évoquer les souffrances en Afrique, en Amérique latine et centrale, au Moyen Orient, en Asie en particulier en Inde, de frères et sœurs baptistes, pentecôtistes, anglicans, méthodistes, luthériens … Comment avait-il connaissance de toutes ces publications ? Pour moi c’était prodigieux. Il n’a pas été rare qu’il ait été critiqué dans les commentaires à ce sujet par des lecteurs catholiques ultra traditionalistes très antiprotestants. Mais il a toujours tenu bon et, à plusieurs reprises, je l’en ai remercié.
Et il a toujours refusé de prendre en compte les persécutions intra-chrétiennes, malgré leur indéniable existence à notre grande honte à tous.
J’ai par exemple beaucoup apprécié lors de ses envois (dans nos courriels hors Obs de la Christianophobie), des campagnes de prière pour Meriam Yahia Ibrahim Ishag au Soudan et pour Asia Bibi au Pakistan ou pour les “40 jours pour la vie”, qu’il ait eu la délicatesse d’y associer les protestants pour cette prière en leur disant, en substance, pas dans ces termes précis :” bon pour vous, je sais pas de chapelet ou de messe mais priez aussi, à votre façon !”
Parmi ses facéties et “tics” rédactionnels, il y avait l’usage de certains mots, peu usités par ailleurs , que j’ai même fini aussi par faire miens, dans sa lutte contre les anglicismes ou l’invasion du français par l’anglais – lui pourtant le quasi bilingue anglais – , je pense à “blogue” que tout le monde écrit “blog,” à “bogue” pour “bug”, à “états-unien” pour “américain” quand il s’agit des États-Unis et pas de toute l’Amérique, à “balle-au-pied” pour “football” dont j’ai cru comprendre qu’il le détestait comme symbole moderne du “panem et circenses” et j’en oublie, là, tout de suite.
Il me manque déjà beaucoup.
Je prie pour la consolation de tous ses proches, famille et amis, toutes les personnes des équipes avec lesquelles il travaillait.
Vous le savez sans doute, les protestants ne prient pas les morts et ne prient pas pour les morts. Ce n’est pas de l’égoïsme, mais juste de la cohérence de notre théologie qui ressortit de notre compréhension de la bible et en particulier d’une part de la totale absence de cette pratique dans la totalité de la bible canonique et d’autre part, particulièrement qu’elle semble totalement rejetée par Jésus dans la parabole qu’il a racontée de Lazare et du mauvais riche (Luc 16, 19-30).
Au demeurant, il ne fait pour moi aucun doute que Daniel Hamiche est maintenant auprès de son Seigneur et Roi qu’il a servi avec ferveur sur cette terre et qu’il n’a plus du tout besoin de nous !
Mais je prie avec ferveur pour la relève.
Le défi de succéder à Daniel Hamiche va être difficile à relever.
Que notre grand Dieu pourvoit à ce besoin.
Il sait combien la cause des persécutés est importante. Combien il est réconfortant pour nos frères et sœurs “sous la croix” de penser que leurs souffrances sont médiatisées, qu’ils ne sont pas oubliés, que des frères et sœurs prient pour eux tout autour de la terre.
La communion des saints n’est pas une illusion, c’est le fruit de l’Esprit Saint dans nos cœurs et dans nos âmes, elle se nourrit de la connaissance de qu’est le sort de nos frères et sœurs, pour nous réjouir ensemble des bonnes nouvelles et pour pleurer ensemble de leurs malheurs, pour les soutenir dans la prière ou dans l’action.
Seigneur, entends notre prière !
Par son combat, qui fut ou était le nôtre, et que nous poursuivrons tous, à notre niveau, quelles que soient les mauvaises nouvelles quotidiennes de la désolation de ce monde, il restera dans nos mémoires.
Il est certain que Dieu doit déjà l’avoir accueilli en son Paradis.
RIP
(Requiescat in pace)
J’ai de la peine pour cette disparition.
Que les Catholiques dont je fais partie, prie pour son âme qui, sans nul doute, a bien été accueillie par Notre-Seigneur.